Dans l’alimentation animale, les matériaux de construction, la meunerie, le Maroc a connu une évolution sans précédent depuis une dizaine d’années. Le point sur un des marchés les plus dynamiques de l’Afrique du nord.
Le Maroc est un pays qui change à toute allure. La libéralisation économique de ces dix dernières années, l’installation des Européens à la recherche d’une villégiature moins chère et ensoleillée pour leur retraite, des salaires bon marché, ont fait exploser l’économie locale. « Le Maroc est un marché en pleine expansion » confirme cet industriel présent au Maroc depuis plusieurs années « Le marché marocain progresse de 6 à 7 % par an, tant au niveau industriel qu’au niveau immobilier. Et lorsque l’immobilier est dynamique, c’est tout le secteur des infrastructures qui est obligé de suivre » explique-t-il. « Il faut construire des routes, des réseaux… » Parmi les facteurs qui ont provoqué ce développement, il retient la libéralisation qui a amené le pays à une situation économique proche de celle connue en Europe, et attire maintenant des entreprises venues du monde entier. Pour autant, tous les secteurs d’activité n’ont pas encore terminé leur mutation dans la « modernité économique ». Au Maroc, les outils industriels sont aujourd’hui largement à la hauteur de ce que nous connaissons en Europe, les techniciens ne sont pas en reste de l’avis de tous les interviewés et les négociations parfois âpres. Alain Stolz, patron de l’entreprise qui porte son nom témoigne : « Cela reste un marché très difficile, les clients sont exigeants sur la qualité, les procédés, les débits de matériels… Mais comme en France en Amérique du Sud ou aux USA. » « On ne leur apprend pas le métier, le plus souvent les ingénieurs ont travaillé en France, mais par contre, les négociations à la fois techniques et financières sont parfois très difficiles » confirme Jean-Georges Denizot, directeur commercial de BCCM, un fabricant de broyeurs. « Techniquement, c’est paradoxal, ils veulent appliquer les normes européennes, les grands standards, mais ne veulent pas y mettre le prix, ils cherchent à avoir des produits qui tiennent la route, innovants, mais pas au prix où ils sont habituellement facturés en Europe ». Compte tenu des liens historiques qui unissent les deux pays, la France et le Maroc, existe-t-il un avantage à représenter une marque française sur place ? Ce spécialiste du dépoussiérage estime que oui. « Il y a une grande confiance naturelle envers les sociétés françaises, peut-être même parfois plus qu’avec les entreprises locales. Nous avons formé des ingénieurs, amené des techniques… Les entreprises françaises bénéficient d’une image de sérieux que n’ont pas forcément les entreprises locales, et ce qui est vrai au Maroc ne l’est pas forcément dans les autres pays du Maghreb. » « Pour les entreprises françaises, tout est fait par les autorités pour qu’elles puissent s’installer et travailler, que ce soit sur le plan administratif ou bancaire, c’est bien plus facile par exemple que dans l’Algérie voisine » témoigne encore Mohamed Grazem, responsable Maghreb de Standard Industrie.
Les bienfaits de la baisse de l’Euro
Si la situation fut parfois commercialement difficile ces dernières années, un mieux est palpable depuis quelques mois maintenant. « La situation s’améliore beaucoup au Maroc avec le retour à un taux de change acceptable entre l’Euro et le Dollar. Pendant toute la période récente où l’euro était cher, nous n’avons pas pu travailler au Maroc qui achète en dollars, c’était un marché fermé, et de nombreux investissements ont été stoppés net ou retardés. Les besoins sont tels, que les projets de construction d’usine comprennent des installations complètes, process qu’ils ne pouvaient se payer lorsque l’euro était si cher. Avec la baisse de l’euro, nous commençons d’avoir de nouveau des appels, les affaires redémarrent et les commandes suivent » témoigne Jean-Georges Denizot. « Ces dernières années, les marocains sont allés voir ailleurs compte tenu du contexte économique. Paradoxalement, il leur revenait parfois moins cher d’aller acheter de l’acier aux USA en raison du fort déséquilibre entre l’Euro et le dollar et du prix de l’acier très défavorable aux producteurs d’acier européens » ajoute Laurent Morillon, patron de l’entreprise éponyme qui vend au Maroc par l’intermédiaire des ensembliers notamment. « Mais il est clair que c’est un pays où les entreprises ont maintenant les moyens d’investir et nous espérons avoir accès à d’autres segments du marché, hors alimentation animale aujourd’hui. Sans compter que l’un des chances de ce marché sera peut-être les projets de délocalisation au Maroc d’usines actuellement situées en Europe, avec un salaire à 150 euros, le pays est compétitif. »
Boulangerie : des investisseurs prudents
Si le monde du ciment et celui de l’alimentation animale ont aujourd’hui une structure industrielle semblable à celle de l’Europe, très concentrée, avec des opérateurs de taille nationale, d’autres nagent encore quelques années en arrière. « Pour les secteurs de la meunerie et de la boulangerie, le pays reste sous équipé en terme de vrac » témoigne toutefois Jean-Claude Baur, responsable de Buhler Maroc. « Pour le blé dur, les équipements en vrac sont essentiellement concentrés sur quelques entreprises ; des semouleries qui livrent des usines de pâtes, sinon, tout est encore en manutention manuelle. Pour le blé tendre, les biscuiteries sont loin d’être toutes équipées parce que les minotiers rechignent à investir dans des camions. Ils sont prudents dans ces investissements à cause des difficultés qu’ils rencontrent pour fidéliser leurs clients. » L’aval du marché est encore trop éclaté, morcelé et la filière rendue peu transparente et efficace à cause du passage encore obligé par les grossistes, très présents dans ce secteur au Maroc. « Cela changera peut-être dans 10 ans estime Jean-Claude Baur, mais pour l’instant, les utilisateurs finaux, les boulangers notamment, sont trop modestes, n’ont pas assez de volumes. Donc ils achètent en sacs de 25 ou 50 kg parce qu’il y a toujours beaucoup de travail manuel dans le pays. » La modernisation du secteur de la boulange est en même temps freinée par le cadre structurel posé par l’État, notamment l’encadrement du prix du pain fixé par le gouvernement, et l’attribution de subventions aux entreprises.
Archaïsmes structurels
« Le prix fixe imposé depuis longtemps a réduit les marges des opérateurs à peau de chagrin, le libéraliser permettrait certainement de restaurer les marges, mais il faudrait aussi que des industriels de la boulangerie puisse s’implanter dans le pays et que les subventions soient mieux utilisées » juge Jean-Claude Baur. « Par ailleurs, l’État marocain subventionne 15 % de la production, pour que le pain reste accessible aux plus pauvres. Mais le résultat est surtout que sur 120 moulins environ dans le pays, un bon tiers ne vit que de cette subvention, sans forcément produire. Le jour où cette subvention disparaîtra, le secteur sera assaini d’une trentaine d’usines. » Les boulangers aussi devront fournir des efforts pour sortir d’un certain « dilettantisme ». « Ils sont aussi assez peu soucieux de technique. Lorsqu’un boulanger achète un sac de farine et que le pain est raté, c’est forcément de la faute de la farine, alors que les boulangers ne contrôlent même pas la température de l’eau, le taux de cendres… Les minotiers sont alors contraints de remplacer le sac de farine, souvent par le même d’ailleurs » sourit Jean-Claude Baur. Malgré ces handicaps, l’avenir semble plutôt prometteur. « Les minotiers essayent pourtant d’aider les boulangers, ils ont engagé des ingénieurs pour apporter un appui technique ils commencent à proposer de nouveau produits, mais jusqu’ici, ils n’ont pas de latitude pour proposer du sur-mesure à cause du maillon grossiste. » Signe des temps qui changent, toutefois, le premier mélangeur, vendu par Buhler, sera installé dans le pays début 2009. Et la restructuration devrait se poursuivre. La meunerie est entièrement détenue par des marocains pour l’heure, mais à l’horizon, Jean-Claude Baur voit six groupes se profiler qui cumuleront les fonctions de semouliers et minotiers afin de pouvoir servir tous les produits à leurs clients finaux.
Quatre usines d’aliment
À l’inverse de la meunerie, le secteur de l’alimentation animale est lui terriblement structuré et n’a rien à envier aux secteurs européens. C’est du moins l’avis d’Alain Stolz : « Au Maroc, le développement est assuré par le besoin de produire localement de la valeur ajoutée. Plutôt que d’aller acheter des poulets à l’importation, le pays a décidé de produire sur son sol. Ils ont donc construit de grosses usines d’aliments du bétail. Pour cela, il leur fallait aussi de l’approvisionnement, ils ont investi également dans des silos de stockage et nous avons été de quasi tous les équipements mis en route jusqu’alors. Mais nous sommes implantés au Maroc depuis toujours, nous y avons des collaborateurs et nous y jouons la carte de la proximité. » Quatre usines se partagent aujourd’hui le marché de l’aliment composé dans le pays, dont une atteint une production de un million de tonnes d’aliment par an. « Les matériels mis en oeuvre sont équivalents à ceux en place en France, voir même plus récents compte tenu du développement du pays. Ils sont très forts, ce sont de bons acheteurs, de bons techniciens, ils ont de bons prémix, de bons formulateurs. Ils n’ont rien à envier en matière d’alimentation animale aux entreprises installées en Bretagne par exemple » poursuit-il.
Le ciment en tête
Tiré par la demande, le secteur du bâtiment a du mal à suivre dans le pays. « Dans le domaine de la construction, le Maroc est loin de servir sa propre demande intérieure » juge Jean-Georges Denizot directeur commercial de BCCM. « Pour les cimenteries, Lafarge et Holcim sont installés et exploitent une demi-douzaine d’unités de production à travers le pays. Plus les locaux. Mais la dizaine d’usines en activité ne suffit à pas à fournir la demande locale et les projets d’implantation se multiplient, il y en a au moins trois en ce moment, notamment d’entreprises marocaines de la construction et de l’immobilier qui se développent. Notre présence ici est pour l’instant principalement concentrée sur l’industrie cimentière et les fournisseurs du bâtiment, mais nous envisageons de nous attaquer aux autres secteurs en passant par un renforcement de notre organisation ici et l’embauche de commerciaux » détaille Mohamed Grazem, responsable Maghreb de Standard Industrie. « Les cimenteries sont toutes à essayer d’augmenter leur capacité de production et cherchent à ajouter des lignes de productions pour répondre à cette demande. » Demande tellement démesurée par rapport aux moyens de productions sur place que le récent ralentissement de la construction senti dans le pays n’a a priori aucune répercussion sur la fabrication des matériaux, et notamment du ciment gris… Si la crise mondiale actuelle permet, à terme, de réajuster Euro et Dollar, si le pays poursuit sa modernisation, il sera alors un marché prédominant au Maghreb, voire moteur même.
Alimentation animale : un secteur porteur
Deux entreprises européennes spécialisées dans le transport en vrac d’aliments pour animaux – Menci et Ecovrac – ont fait fin octobre le déplacement du Dawajine, le salon avicole de Casablanca. Le potentiel existe.
Ce rendez-vous annuel, organisé pour la onzième année consécutive dans la capitale économique du Maroc, a réuni pendant trois jours 350 exposants dont 80 % venus de l’étranger. Menci, société italienne basée à Castiglion Fiorentino, près d’Arezzo (Toscane), a annoncé la création de sa filiale Menci Maroc avec l’ouverture d’un bureau à Casablanca. L’entreprise, spécialiste des citernes en aluminium, annonce détenir 70 % du marché italien. Elle propose des citernes montées sur camions porteurs, remorques ou semiremorques. « L’alimentation animale au Maroc est en plein développement. Le vrac peu utilisé jusqu’à présent chez les fabricants d’aliments prend de l’importance parce que l’éleveur doit surveiller ses coûts. Par rapport au sac, le vrac lui permet en moyenne de gagner 10 centimes de dirham (Un dirham marocain = 0,09 euro) par kilo d’aliment », explique Abdallah Oualouah, agent commercial de Menci pour le Maroc. La société italienne aborde le marché du royaume chérifien avec, annonce-t-elle, des « matériels robustes parfaitement adaptés au terrain marocain, en particulier une gamme de citernes sur porteurs de 19 à 34 m3 ou 12 à 22 tonnes ».
50 % de vrac chez Alf Sahel
Chez le carrossier-constructeur Ecovrac, installé à Saint-Caradec (Côtes d’Armor) – 50 % de parts de marché en France –, la vente dans le Maghreb d’équipements pour le transport d’aliments du bétail en vrac n’est pas chose nouvelle. « Nous avons toujours vendu des matériels en Tunisie et au Maroc. Le cas de l’Algérie est particulier, je dirais qu’il existe un potentiel, observe Jean-Baptiste Le Maître, p-dg de la société bretonne. Nous espérons que le redémarrage économique qui semble s’opérer en ce moment portera ses fruits. À côté des offices nationaux, en pleine déconfiture, des entreprises privées montent des projets, parfois en intégration, dans l’élevage et l’alimentation animale. Ça mérite que l’on s’y intéresse. » Au Maroc, la situation est beaucoup plus claire. « Quand ils ne construisent pas de belles et grandes usines pour fabriquer de l’aliment, les Marocains modernisent leurs outils de production et se comportent comme des entrepreneurs. Le recours au vrac va croître dans les prochaines années. Le numéro un marocain, Alf Sahel, qui produit 50 000 tonnes d’aliments par mois et vise les 100 000 tonnes avec une nouvelle unité fin 2009, commercialise déjà la moitié de sa production en vrac. Alf Atlas – 24 000 tonnes par mois – devrait évoluer lui aussi vers le vrac. » Ecovrac suit donc avec beaucoup d’attention le marché marocain. « Nous ne travaillons que le vrac sec. Nos matériels sont costauds et nous ne faisons que du sur-mesure, précise Jean-Baptiste Le Maître. Les chassis sont en acier et les citernes en aluminium - AG 4. » Au cours de l’année 2008, Ecovrac a mis cent citernes et semi-remorques en production dans ses ateliers de Bretagne. Au Maroc, l’entreprise vend en moyenne entre cinq et six porteurs et semi-remorques chaque année.