Il n’est pas toujours facile de lutter contre le charançon, cet insecte ravageur des céréales dans le champ ou dans les silos. Les conséquences d’une infection peuvent être désastreuses pour l’agriculture, la sécurité alimentaire et l’économie des sociétés qui en vivent. Un consortium international, impliquant l’Inrae et l’INSA Lyon, a permis de déchiffrer le génome du charançon des céréales et d’imaginer de nouveaux moyens de lutte.
Le charançon des céréales est un insecte d’environ 3 mm appartenant à l’ordre des coléoptères : il est considéré comme l’insecte ravageur le plus destructeur des céréales entreposées. Étant capable de détruire des stocks entiers de céréales comme le maïs, le riz, le blé ou le sorgho, et d’autres légumineuses comme les lentilles, le pois, le seigle ou les haricots, le charançon représente une menace importante pour la sécurité alimentaire, notamment dans les pays en voie de développement. Les insecticides chimiques, comme la phosphine, permettent de lutter contre ce ravageur, mais induisent des risques d’intoxication chronique des consommateurs, une résistance chez les ravageurs et peuvent avoir un impact négatif sur l’environnement.
Une symbiose mutualiste
Comme de nombreux autres insectes qui se développent dans des milieux relativement pauvres en nutriments, le charançon vit en symbiose avec une bactérie, nommée Sodalis pierantonius, qui complémente son alimentation. Les chercheurs du laboratoire de Biologie Fonctionnelle, Insectes et Interactions (BF2i) de l’INSA Lyon ont, dès 1960, entrepris des travaux de recherche portant sur la caractérisation morphologique et histologique de la symbiose entre l’insecte et cette bactérie. Les premières recherches ont permis de comprendre que la bactérie utilisait le sucre, qui est naturellement présent dans les céréales. Mais un animal complexe tel que l’insecte ne peut pas survivre uniquement avec le sucre : cela ne suffit pas à développer tous les métabolismes dont il a besoin pour se reproduire. Abdelaziz Heddi, professeur des Universités à l’INSA Lyon et investit dans les travaux de recherche depuis 1994, déclare : « Les bactéries sont logées à l’intérieur de cellules spécialisées et transmises d’une génération à l’autre, pendant des milliers voire des millions de générations d’insectes. L’insecte fournit à la bactérie le sucre présent dans les céréales, assure sa transmission aux générations d’insectes, et la protège des menaces extérieures et, en retour, la bactérie transforme le sucre en des composés métaboliques nécessaires au développement et à la reproduction de l’insecte. Nous appelons cela une symbiose mutualiste. » L’insecte et la bactérie forment un couple stable et durable.
Des éléments transposables
Le génome – qui peut être défini comme l’ensemble des informations (dont les gènes) codées par une cellule – du charançon a été déchiffré grâce à un consortium international impliquant l’Inrae et l’INSA Lyon. « Nous avons pu découvrir une potentielle plasticité du génome, puisque près de 70 % de celui-ci est composé de séquences mobiles, explique Rita Rebollo, chercheuse à l’Inrae. Il s’agit de séquences, capables de passer d’une partie du génome à une autre et ainsi de créer des mutations, qu’elles soient bénéfiques ou non pour l’insecte. En biologie, créer de la mutation, c’est créer une variabilité permettant la sélection d’individus plus adaptés à un environnement donné. » Après avoir découvert cette énorme quantité d’éléments transposables, les chercheurs ont toutes les raisons de croire que c’est potentiellement pour cette raison que l’insecte continuera à s’adapter aux différentes conditions environnementales, y compris aux différents traitements qu’on lui inflige. « Nous pourrions notamment penser qu’à force d’être exposé aux insecticides, cette plasticité du génome conférée par les éléments transposables s’est accentuée », poursuit Rita Rebollo.
Comprendre le dialogue moléculaire
Les travaux menés par l’Inrae et l’INSA Lyon ont pour objectif de comprendre la symbiose entre le charançon et la bactérie symbiotique, autrement dit, comprendre le langage moléculaire échangé entre ces deux organismes. « L’objectif fondamental était d’appréhender le dialogue moléculaire établi entre ces partenaires », déclare Abdelaziz Heddi. Il y a des phases critiques durant lesquelles l’insecte a particulièrement besoin d’une quantité accrue de la bactérie symbiotique. Lorsque ces phases sont dépassées, l’insecte réduit ces quantités, voire élimine la bactérie. « Par exemple, l’insecte recrute un maximum de bactéries pour l’aider à construire sa cuticule le plus rapidement possible. Lorsque la cuticule est formée et que l’insecte adulte termine sa métamorphose, ils éliminent les bactéries et recyclent leurs produits. » Les recherches ont également montré pourquoi, malgré la présence d’une bactérie à l’intérieur de l’insecte de façon chronique et permanente, il n’y a pas d’induction de la réponse immunitaire. « Nous avons compris comment l’insecte régule la population de ses bactéries symbiotiques », ajoute Abdelaziz Heddi.
Plus de 70% du génome du charançon est constitué de séquences répétées.© INRAE – Nicolas Parisot
Trouver des moyens de lutte
Si le charançon est ravageur, c’est notamment parce qu’il a des prédispositions qui le rendent adaptable : pour preuve, l’Homme lutte contre cet insecte depuis le Néolithique et il est toujours présent. Malgré des traitements avec des insecticides, il continue d’affecter les stocks de céréales dans le champ ou dans les silos, entraînant jusqu’à 40 % de perte annuelle dans les pays en développement. L’objectif finalisé des recherches est de trouver de nouveaux moyens de lutte contre l’insecte, de manière propre et sans avoir recours à des insecticides de synthèse. Abdelaziz Heddi témoigne : « L’insecte ne peut pas vivre sans la bactérie symbiotique, et la réciproque est vraie. La compréhension du dialogue moléculaire permet d’agir sur les interactions entre ces partenaires. Il serait par exemple possible de faire croire à l’insecte que la bactérie est pathogène ou encore d’inhiber les gènes qui sont impliqués dans la régulation du nombre et la localisation des bactéries. »
La transgénèse interdite en Europe
« Nous avons trouvé un gène qui permet à la bactérie de rester dans des cellules spécialisées, appelées bactériocytes, déclare le professeur des Universités. Parmi ses gènes exprimés dans ces cellules, l’un empêche la bactérie de se diviser et de sortir des cellules pour infecter les autres cellules de l’insecte. Si nous enlevions ce gène, les bactéries sortiraient des cellules et envahiraient l’insecte qui ne survivrait pas. » Cette lutte propre a déjà été validée au niveau expérimental et offre la potentialité d’utiliser les gènes comme lutte biologique innovante contre les insectes. Néanmoins, la transgénèse sur les plantes est pour le moment interdite en Europe. Abdelaziz Heddi poursuit : « Notre laboratoire avait aussi identifié une protéine toxique pour le charançon présente dans le petit pois. Cette protéine, qui a pour effet de détruire l’intestin du charançon, a été isolée et brevetée. Le principal problème est qu’aujourd’hui sa production reste onéreuse, et qu’il est interdit de transférer un gène d’une plante comestible à une autre plante comestible. Nous avons une petite dizaine de gènes candidats et, si la transgénèse était permise, nous aurions déjà trouvé le moyen de lutter contre ce ravageur. L’Europe et la France prennent selon moi du retard sur ce point. »
Un nouveau catalogue de référence
La découverte de la séquence du génome du charançon ouvre de nouvelles portes aux chercheurs. Ils pourront notamment réaliser de la génétique comparative et identifier ce qui est unique chez le charançon par rapport à d’autres coléoptères. « Cette génétique comparative nous permet de prendre du recul et de comprendre un peu mieux quels sont les mécanismes à cibler dans les moyens de lutte, explique Rita Rebollo. Nous avons aussi pu faire l’inventaire de tout le système immunitaire du charançon, et ainsi confirmer les observations précédentes. » Les travaux menés par le consortium ont permis de dresser un catalogue de référence du charançon, permettant notamment de prédire les évolutions futures de cet insecte. « Grâce à ce nouveau dictionnaire de référence, nous allons cibler différents mécanismes et finaliser certains métabolismes, ajoute Rita Rebollo. Nous allons pouvoir trouver des gènes d’intérêt et développer de nouveaux moyens de lutte. » Nicolas Parisot, maître de conférences en bio-informatique à l’INSA Lyon, témoigne quant à lui : « Ce long travail nous a permis de savoir comment le charançon fonctionne, comment il résiste à certains moyens de lutte et comment il est possible de le perturber. Grâce à la découverte de la séquence de son génome, nous avons les informations nécessaires pour imaginer de nouveaux moyens de lutte. »