Spécialiste de la protection contre les explosions, Fike Corporation développe une stratégie globale permettant de répondre à toutes les attentes des industriels. Entre évents, la décharge d’explosion par arrêt de flamme, suppression chimique et systèmes d’isolation, les solutions proposées trouvent de larges applications en agroalimentaire. Questions à Eric Jacquot, directeur de Fike-France.
Le groupe Fike, dont le siège est situé aux Etats-Unis, dispose de nombreuses implantations en Europe, en France, en Grande-Bretagne, au Benelux, en Allemagne, Italie, Espagne, … A quel type d’approche cela répond-il et quelle place l’agroalimentaire y tient-elle ?
Notre choix stratégique est de nous situer au plus près de nos clients. A chaque implantation correspond une équipe locale. Il ne s’agit pas d’une seule personne mais de filiales de la taille de petites entreprises avec des ingénieurs eux-mêmes localisés en région aux côtés de nos clients, c’est-à-dire disponibles sans intermédiaires, en direct. Cela correspond bien à la demande du monde de l’agroalimentaire où les industriels sont confrontés à la question de la sécurité et de la protection contre les explosions avec une problématique de mise en conformité. Que cette démarche soit volontaire ou non, nous sommes capables d’y répondre en quelques jours en effectuant une visite pour formuler des recommandations. C’est essentiel à nos yeux d’être réactifs. Nous répondons, en fait, à deux types de marchés. Tout d’abord sur les demandes de mise en conformité de l’existant, mais aussi sur des projets d’installation ou d’extension, soit en direct avec l’exploitant, soit en collaboration avec les ingénieries, les ensembliers ou les constructeurs. Cette seconde facette nous permet, là aussi, d’être au plus près du terrain pour répondre aux besoins. Parallèlement, nous bénéficions de la synergie de nos filiales, notamment au niveau européen, pour activer une expertise commune en amont et avec nos partenaires. Nous venons, par exemple, de réaliser une installation pour un groupe important où le fournisseur principal était allemand, avec un séchage britannique, une manutention franco-germanique et un dépoussiérage français. En associant ce maillage local et le réseau des filiales, nous sommes réactifs aussi bien pour de petites coopératives agricoles que pour de grands groupes. Nous formons une équipe à la fois présente au niveau local et au niveau international.
Vous intervenez aussi bien sur des process liquide que solide, quel est précisément votre spécialité et quelle en est l’origine ?
Notre coeur historique de métier est la protection contre la surpression. Nous avons commencé à travailler sur les disques de rupture en 1945 et nous faisons aujourd’hui partie des leaders mondiaux. Nous réalisons 40 % de notre chiffre d’affaires dans ce domaine en France, notamment dans le secteur de la chimie et de la pharmacie, moins dans l’industrie agroalimentaire. Cela concerne tout process impliquant une montée en pression, il s’agit donc de liquide et de gaz. En agroalimentaire nous avons des applications notamment en fermentation, comme dans les brasseries. Concernant le vrac solide, c’est bien sûr notre savoir-faire en systèmes de protection contre les explosions qui est en première ligne. Le risque d’explosion, mis en lumière par la directive Atex, y est particulièrement important en raison des ambiances poussiéreuses liées à la manipulation des produits en poudre. Notre groupe intervient aussi dans la protection incendie et la prospection pétrolière, mais cette activité ne concerne pas Fike-France.
Comment peut-on situer votre approche de la protection contre les explosions au plan technique ?
Il s’agit très précisément d’intervenir au moment où l’explosion démarre. Nous ne nous positionnons pas sur la partie prévention, l’objectif est de lutter contre les effets de l’explosion. L’une des réponses les plus courantes est, bien sûr, l’installation d’évents pour canaliser la déflagration. Notre expertise couvre tous ses aspects : dimensionnement, systèmes d’ouverture, dispositions contre la fragmentation, … En agroalimentaire, l’un des points clefs est l’hygiène sanitaire, l’évent doit être parfaitement nettoyable pour éviter tout risque bactériologique et ne pas comporter de zones de rétention. Notre gamme « Sani-V » répond aux normes d’hygiène (3A) concernant les matériaux en contact, mais aussi la certification EHEDG (European Hygienic Engineering & Design Group) relative à la conception hygiénique des équipements et des installations de l’industrie agroalimentaire. Ce standard plus exigeant implique la réalisation de tests de laboratoire sur l’hygiène et le nettoyage.
Avez-vous des orientations particulières de R&D concernant les évents ?
Notre démarche consiste à répondre aux demandes du marché. Nous avons, par exemple, développé un joint d’étanchéité adapté aux exigences de l’agroalimentaire ou des applications spéciales pour élévateurs à godets ou tours d’atomisation. Certaines pistes émergent directement du terrain à partir de besoins précis. Nous avons réalisé récemment un travail d’optimisation d’évents dans le domaine des tours de séchage en collaboration avec les constructeurs et les bureaux d’ingénierie concernés. Bien sûr, l’innovation bénéficie en premier lieu aux partenaires impliqués, mais elle permet d’orienter notre développement sur des solutions plus percutantes. La flexibilité alimente l’innovation déclinée sur les gammes standards. Nos pistes de travail concernent notamment l’efficacité de l’ouverture. Elle a une incidence directe sur la surface de l’évent, qui peut être réduite, mais aussi sur la fragmentation. Si vous ne maîtrisez pas les zones d’accrochage, vous ne pouvez pas maîtriser la fragmentation. Ce n’est par un hasard, par exemple, si vous trouvez des évents rectangulaires sur des conduites circulaires ou sur des pots de découplage ! Nous avons mis au point un design particulier d’évents circulaires qui maîtrisent le risque de fragmentation, même pour des produits dont le coefficient maximal d’explosivité (KST) est élevé. D’autres pistes concernent la résistance aux conditions environnantes, par exemple la présence à proximité d’une zone de surpression ou de dépression, ou d’un système de décolmatage qui pourraient interférer sur l’ouverture de l’évent.
Existe-t-il d’autres dispositifs de protection passive que les évents ?
Dans certains cas, la canalisation vers l’extérieur n’est pas possible, par exemple quand il y a des zones sensibles à proximité ou pas de dégagement suffisant. Il est alors intéressant d’installer ce que l’on appelle un arrêt de flamme. Il s’agit d’un caisson placé au-dessus de l’évent pour absorber la chaleur dégagée par l’explosion grâce à un maillage métallique. Cette solution, que nous avons appelée « Flam Quench » est bien adaptée pour des process tels que le broyage qui nécessite souvent l’installation d’une trémie rendant impossible l’évacuation vers l’extérieur alors que tous les facteurs de risques sont concentrés en un même lieu : la poussière du versement dans la trémie et celle issue du broyage qui est également source potentielle d’étincelle… Nous proposons une gamme standard pour KST jusque 200 adaptée aux applications agroalimentaires et une gamme au-delà, plutôt pour des usages industriels.
Comment opérer son choix entre un évent avec évacuation et l’intégration d’un arrêt de flamme ?
Même si les coûts sont différents, l’écart a tendance à se réduire. La difficulté est de bien évaluer l’ensemble des coûts induits par l’installation. Même si le coût d’une gaine de décharge est moins élevé, cela peut impliquer des aménagements importants au niveau du bâtiment, murs ou toitures, éventuellement le déplacement de machines. Il faut aussi penser aux incidences sur une évolution de la production. La compacité et la souplesse d’intégration d’un arrêt de flamme peuvent s’avérer décisives.
En complément de ces deux techniques de protection passive, vous proposez des systèmes de suppression d’explosion, par injection de poudre inerte, déclenchés par des capteurs de pression ou de flamme.
Il s’agit de stopper le développement de l’explosion par « étouffement ». Le bicarbonate de sodium provoque une chute immédiate de la pression, en limitant celle-ci à quelques centaines de millibars au lieu d’une dizaine de bars, en cas de développement complet de l’explosion. Ce résultat est obtenu grâce à l’utilisation d’une bouteille sous haute pression (60 bars), remplie d’une poudre inerte de très fine granulométrie, équipée d’une buse de grande section. Ce sont, à ma connaissance, les plus grandes utilisées sur le marché. Ce qui justifie leur prix, mais aussi leur efficacité. Celle-ci est renforcée par un système d’ouverture par disque de rupture piloté par générateur de gaz. C’est le principe de l’airbag. Un tube coudé propulse l’onde de choc contre le disque qui se trouve directement au contact du process. Ce temps de réaction ultrarapide est très précieux, car il permet de gagner du temps pour optimiser la détection en renforçant le traitement du signal et ainsi limiter les fausses activations. En effet, si les paramètres de déclenchement sont trop proches des valeurs de fonctionnement normal du procédé, il y a risque de déclenchement intempestif et les conséquences peuvent être importantes ! Grâce à la rapidité unique de notre système, l’écart entre ces valeurs peut donc être augmenté de façon significative. Cette technique est intéressante pour les installations diffuses difficiles à protéger comme les élévateurs à godets, le séchage sur lit d’air fluidisé ou les tours d’atomisation.
Au final, vous avez développé tout un arsenal de moyens autour d’un même objectif plutôt que de vous spécialiser sur une technologie. C’est une approche globale.
Effectivement, si nous ajoutons les systèmes d’isolation mécanique avec nos vannes guillotines conçues pour se fermer dans les millisecondes qui suivent la détection d’une explosion, nous couvrons l’ensemble des réponses en matière de protection contre les explosions. Cette stratégie est liée à notre structure même, qui s’appuie sur une convergence de savoir-faire entre les différentes filiales avec un volant d’activité permettant de nous doter de moyens importants. Ainsi nous construisons tous nos produits, nous disposons de laboratoires de pointe avec ingénieurs et spécialistes en combustion pour tester les matériels et caractériser les poussières et les gaz, et même d’une carrière pour les tests grandeur nature. Nous partons du terrain… pour mieux le couvrir !