Connaître en temps réel l’état de ses stocks ou des stocks de ses clients. Voilà une information très intéressante à exploiter pour un industriel. C’est à partir de cette idée qu’ Olivier Le Strat créateur de la société Ijinus s’est lancé dans la fabrication de capteurs de niveaux capables de transmettre les informations en temps réels sur un ordinateur même si ce dernier est à l’autre bout du monde. Une idée devenue réalité !
Le Journal du Vrac : Olivier Le Strat, votre société Ijinus est une toute jeune entreprise récemment créée. Quel parcours vous a amené à cette création ?
Olivier Le Strat : Je travaillais auparavant dans une entreprise connue pour avoir conçu et développé la balise Argos, ainsi que des systèmes de sécurité périmétriques pour des sites stratégiques français. En 2002, le PDG d’un groupe spécialisé dans le domaine de la fabrication d’aliments pour animaux me dit : « J’aimerais que tu me trouves une solution pour que je puisse connaître en temps réel le stock de mes éleveurs ? ». L’idée était simple et basique, je l’ai trouvée géniale. J’ai cherché ce qui existait dans ce domaine. J’ai constaté que rien n’existait. Six mois après, j’ai démissionné et créé mon entreprise en juillet 2003. Pendant six mois j’ai travaillé sur les algorithmes acoustiques et en janvier 2004, un premier ingénieur est venu me rejoindre.
JDV : Que vouliez-vous faire ?
Olivier Le Strat : L’idée première de l’entreprise était de réaliser une chaîne complète qui va du capteur de niveau jusqu’à l’exploitation des données recueillies. Il nous a fallu trois ans pour développer des prototypes, des maquettes…
JDV : Et probablement trouver des financements pour tenir durant toute cette période de recherche et développement ?
Olivier Le Strat : Parallèlement, je développais des produits pour des entreprises extérieures. Ces travaux, sans aucun lien avec ma nouvelle activité, m’ont permis de financer 75 % des besoins d’Ijinus. En 2006, la question s’est posée de savoir s’il fallait continuer à développer pour d’autres, ce qui n’avait rien à voir avec les objectifs de l’entreprise, ou arrêter et nous consacrer exclusivement à nos produits. Nous avons choisi cette deuxième solution. Différentes aides extérieures (Région, département, Oseo…) nous ont permis d’équilibrer les comptes.
JDV : Arrive un moment où il faut produire. Vous avez commencé par quoi ?
Olivier Le Strat : Nous avons commencé par fabriquer des capteurs, mais ce sont les données recueillies par les capteurs qui intéressaient nos futurs clients. Donc nous leur avons proposé une solution comprenant une chaîne complète allant de la mesure au recueil des informations. Ils n’étaient pas encore totalement satisfaits car ce qu’ils désiraient ce n’était pas d’avoir l’information en local, mais en déporté, par Internet par exemple. Donc, nous avons travaillé à la fois sur les capteurs, la centralisation locale et la partie « Web » pour que l’information puisse être lue de n’importe quel point géographique de la planète. L’objectif était qu’un fournisseur puisse, par exemple, gérer les stocks de ses clients, à distance, sans aucune intervention humaine sur le site.
JDV : C’est cette transmission de données qui vous différencie des autres constructeurs ?
Olivier Le Strat : Oui, car nous mesurons, nous interprétons la mesure et nous proposons des actions. Ces actions sont de quatre ordres : la logistique, la production, le commerce et les achats. Cette même information doit être envoyée à des personnes bien ciblées dans ces quatre directions.
JDV : Et aujourd’hui, vous avez réussi à convaincre des fournisseurs de faire appel à votre solution ?
Olivier Le Strat : C’est assez long car une nouvelle façon de gérer les stocks bouscule les habitudes de certaines entreprises. Maîtriser l’information, c’est avoir le pouvoir d’anticiper. Si nous équipons des silos ou des citernes avec des capteurs capables de transmettre l’information, chaque personne reliée a la connaissance des stocks en temps réel, et aussi la connaissance à court et à moyen terme du besoin futur du client. Une fois que le fournisseur dispose de ces paramètres, il sait exactement comment s’organiser pour gérer la tournée de livraison de tous ses clients, Il pourra donc mieux planifier ses fabrications, optimiser la productivité et supprimer des pics de production qui demandent des moyens humains supplémentaires. Résultat des gains financiers sur plusieurs postes Les gains sont identiques du côté des achats : la connaissance de production, permet de savoir exactement ce qu’il faut acheter. Les achats peuvent être optimisés et mieux cadencés.
JDV : Il reste le quatrième pilier, le commerce ?
Olivier Le Strat : Oui. Au niveau commercial cette approche permet de fidéliser le client car, comme il est facile de visualiser la date de rupture de stock, il devient quasi impossible à la concurrence de fournir le silo. Ce n’est plus le client qui demande à être livré, c’est le fournisseur qui prend en charge le réapprovisionnement de son silo. La solution que nous proposons va bien au-delà des simples capteurs, elle concerne le traitement d’informations en lien direct avec la stratégie de l’entreprise. Les gains peuvent être très rapides et, au final, le retour sur investissement d’une telle installation peut se faire en moins de 2 ans
JDV : C’est donc bien une solution que vous vendez ?
Olivier Le Strat : Nous vendons la chaîne de mesure complète, avec la partie optimisation. Nous savons où travailler et comment appréhender tel ou tel point pour que le client puisse rentabiliser son investissement. Si l’on considère uniquement la mesure, un capteur est déjà intéressant en terme de retour sur investissement, mais si on va jusqu’au bout de la chaîne, ce retour sur investissement est très rapide.
JDV : Finalement votre approche du client ne se fait pas sur la technologie de vos produits ?
Olivier Le Strat : C’est plutôt la notion de service que nous mettons en avant.
JDV : Vous ne les intéressez pas à la technologie ?
Olivier Le Strat : Il n’y a pas pire que de mettre trop de technique lors d’une vente. Tout dépend de l’interlocuteur et de son activité. L’attente d’une cimenterie n’est pas la même que celle d’une centrale à béton. La première veut fournir le plus vite possible tandis que la seconde ne veut pas se trouver en rupture de stock. Bien sûr, une fois cerné l’intérêt que peut représenter cette collecte d’informations pour la bonne marche de l’entreprise, il est important pour notre client de comprendre la technologie qui est placée derrière.
JDV : Concernant la maintenance, aujourd’hui, Ijinus est une petite entreprise de sept personnes. Vous avez face à vous des concurrents importants et bien implantés, quel service de maintenance pouvez-vous apporter à vos clients ?
Olivier Le Strat : Les mêmes services que ceux de nos concurrents pour la simple raison qu’il ne s’agit pas de maintenance, mais de télémaintenance. Dans une configuration de base, s’il y a un manque de précision de la mesure sur un capteur, par exemple, il sera nécessaire d’avoir recours à un technicien capable d’intervenir quasiment en temps réel. Chez nous, les capteurs sont connectés à internet, donc plutôt que de se déplacer vers le client, nous agissons à distance. L’information de nos capteurs revient vers nous et nous pouvons intervenir. Ainsi, nous avons vendu des capteurs en Australie et toute la partie consacrée au paramétrage et à la mise en service s’est effectuée à partir de notre site en Bretagne et en lien téléphonique avec des personnes sur place que nous avions pris soin de former.
JDV : Et s’il y a une casse ?
Olivier Le Strat : Sur certains sites nous préconisons d’avoir un capteur supplémentaire, mais aujourd’hui, nous avons des agents extérieurs qui nous représentent en France, en Espagne, au Maghreb, en Australie et nous continuons d’étendre notre implantation avec des distributeurs au Brésil, au Mexique…
JDV : Vous êtes une jeune entreprise, plus fragile financièrement la plupart de vos concurrents, bien implantés sur leur marché. Que se passe-t-il si vous disparaissez ?
Olivier Le Strat : Tous nos produits sont écrits dans des dossiers industriels qui comportent l’ensemble des éléments qui permettent de fabriquer un produit de A à Z. Ces dossiers industriels sont déposés chez notre notaire. Tous les clients sont référencés avec le type de matériel qu’ils ont en leur possession. En cas de disparition d’Ijinus, chaque dossier industriel devient la propriété de chaque client qui a acquis le matériel. La fabrication de notre matériel tombe ainsi dans le domaine public. C’est une sécurité pour nos clients, mais qu’ils ne soient pas inquiets, je leur promets que nous seront encore là dans les années à venir.
JDV : Côté capteurs, plusieurs technologies existent, notamment la technologie acoustique et la technologie radar pour la mesure de niveau. Certains constructeurs défendent bec et ongles la technologie radar qui n’est pas perturbée par les envols de poussières lors du chargement d’un silo, ce qui n’est, paraît-il, pas le cas avec les ultrasons. Quelle est l’approche d’Ijinus ?
Olivier Le Strat : Pour moi, il s’agit surtout d’un manque de précision dans le langage. Tous ceux qui disent que les ultrasons ne fonctionnent pas ont raison car ils parlent d’ultrason analogique et généralement de leur propre gamme de capteur. Le problème n’est pas de savoir si la technologie ultrasons marche ou ne marche pas, le problème est de savoir quelle technologie il y a derrière un capteur à ultrasons qui ne marche pas.
JDV : Pouvez-vous nous expliquer ?
Olivier Le Strat : Il existe cinq manières de quantifier un stock dans un silo : le peson, l’ultrason analogique, l’ultrason numérique, le radar pulsé et le radar filoguidé. Nous laisserons de côté les pesons qui ne sont adaptés qu’à certains domaines et qui ne mesurent pas le foisonnement (mélange air/matière avant tassement). Le radar filoguidé a le gros inconvénient de nécessiter un câble qui est en contact avec la matière d’où une complexité de mise en oeuvre. Cependant, en phase de chargement, il est le seul qui permette de mesurer un niveau dans un silo très étroit (1 m) pour de grandes hauteurs. L’avantage du radar pulsé est sa portée qui peut atteindre 70 m voir plus, l’inconvénient, c’est qu’il faut nettoyer régulièrement l’antenne, sinon, elle se désaccorde et le capteur ne fonctionne plus. Concernant les liquides, le radar ne fonctionne pas sur toutes les matières, car toutes n’ont pas la même capacité à réfléchir des ondes électriques (diélectrique des matières).
JDV : La technologie des ultrasons est également sensible aux envols de poussières dans le silo au moment du chargement ?
Olivier Le Strat : A une fréquence donnée, une onde mécanique (ultrason) rebondira sur un mur alors qu’une onde électrique (radar) le traversera. Vous changez cette fréquence, le phénomène de réflexion s’inversera. En clair tout est une question d’usage, de choix des fréquences, des puissances et de la technologie associée. Dire que l’acoustique ne fonctionne pas quand il y a de la poussière et que les radars fonctionnent dans la poussière est trop simpliste comme approche, il faut donc faire la part des choses et faire la différence entre capteur et onde. Une onde électrique (radar) aura une bonne pénétration dans un milieu poussiéreux sur une distance de 30 m par exemple, mais pour une distance de 10 m une onde mécanique aura les mêmes résultats qu’une onde électrique pour une configuration équivalente. Les ondes se réfèrent aux différentes lois physiques alors que les capteurs se réfèrent au savoir faire de chaque fabricant de capteur : qualité, fréquence, traitement de signal, sensibilité… Il ne faut donc pas tout mélanger et parler juste. Notre technologie s’appuie sur le principe de l’imagerie acoustique qui prend les avantages des capteurs radars et des capteurs ultrasons analogique sans en avoir les inconvénients pour nos applications visées.
JDV : Vous avez des références ?
Olivier Le Strat : Oui. Nous sommes présents sur des sites Eurovia, Lafarge, Véolia, Cargill, Le Gouessant, Unicopa, Coopagri, Cecaliment…
JDV : Aujourd’hui, Ijinus est en phase de croissance ?
Olivier Le Strat : Oui. Nous venons de nous installer dans nos nouveaux locaux à Quimperlé en Bretagne. Nous sommes actuellement présents sur plusieurs secteurs porteurs. Je suis conscient qu’il est nécessaire d’avancer, mais avancer de manière économique et pragmatique. Nous n’allons pas investir du temps dans un projet s’il n’y a pas de nouveautés majeures. L’objectif n’est pas de faire ce que maîtrisent déjà nos concurrents. Par contre sur la technologie des capteurs à ultrasons que nous maîtrisons, nous avons déposé plusieurs brevets. Ainsi, rien que dans la tête du capteur, il y a énormément de technologie. C’est une tête auto nettoyante par claquage acoustique dans lequel nous envoyons un train d’ondes à 2 500 volts (gamme ATEX zone 20). Surtout, nous faisons remonter l’image acoustique du silo, son empreinte digitale, en quelque sorte que l’on appelle la signature acoustique. Quand le silo est vide on obtient une signature, quand le silo contient de la matière, une signature différente. Donc nous savons dire si un silo est propre ou sale. Pour répondre à une problématique sanitaire, c’est très intéressant.
JDV : Cela permet de savoir s’il n’y a pas de phénomènes de colmatage dans le silo ?
Olivier Le Strat : Oui. Il devient possible de détecter s’il reste de la matière, même quand l’exploitant est persuadé que son silo est vide. La signature acoustique permet de savoir exactement ce qui reste. Comme la lecture s’effectue par comparaison entre un silo vide et un silo contenant de la matière, plus nous disposons de signatures acoustiques, plus il est possible de comparer et gagner en précision sur la lecture. Nous sauvegardons toutes les données avec toutes les signatures acoustiques, ce qui nous permet, en cas de litige d’apporter la preuve de l’état du silo à un instant T. Nous pouvons déterminer si une cheminée s’est formée dans un silo, s’il y a un phénomène de voûtage… Nous ne faisons pas que de la mesure, nous apportons la preuve de cette mesure.
JDV : Au sein de l’entreprise, comment êtes-vous organisé ?
Olivier Le Strat : Nous avons quatre personnes qui se consacrent à la R&D. Nous réinjectons 20 % de notre CA en R&D. Nous sous-traitons la fabrication des pièces. Par contre, nous effectuons en interne l’assemblage et la programmation, puis les capteurs sont expédiés sur le site qui confie la pose à un installateur ou l’effectue lui-même d’après nos consignes de montage. Enfin, nous effectuons à distance le paramétrage et la mise en route, en lien avec notre interlocuteur sur place.
JDV : Comment vous faites-vous connaître ?
Olivier Le Strat : Essentiellement par prospection, mais aussi par tous les canaux habituels : Salons professionnels, magazines professionnels, internet…
JDV : Vos arguments ?
Olivier Le Strat : Il faut savoir que les méthodes de mesure de niveau dans les silos sont parfois archaïques. La mesure de niveau apporte énormément de sécurité à la fois parce qu’elle évite de monter sur le silo pour vérifier de visu, et puis, elle permet de connaître l’état de son stock en temps réel, ce qui est très intéressant.
JDV : Comment voyez-vous Ijinus dans les cinq années à venir ?
Olivier Le Strat : Avec trois entités bien distinctes sur le plan géographique : Asie, Europe et Amérique. Une présence dans de nombreux domaines d’activités : menuiserie, colle, élevage, cimenterie, carrières, gestion des ordures… L’avenir, c’est aussi une extension de notre offre qui, en plus des capteurs de niveau, comprendra une gamme de capteurs de température que nous développons actuellement. Il apparaît de plus en plus évident que la notion de diminution des coûts (économies de carburant, économies de temps…) que nous proposons à nos clients par le biais de la transmission numérique des données interpelle de plus en plus. Nous sentons très bien aussi qu’il ne suffit pas de vendre un capteur, il faut pouvoir le maintenir, que la mesure relevée soit juste, vérifiée, pérenne, qualifiée, quantifiée. Aujourd’hui, nous avons atteint la phase de capteurs fonctionnant en autodiagnostic, nous n’intervenons presque plus pour faire des ajustements.